« Nous adorons Dieu, lui seul, unique en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit. Créateur de toutes choses, il est saint, tout-puissant, amour, éternellement vivant. Nous croyons que Dieu s'est révélé dans l'histoire, d'abord dans celle du peuple d'Israël, puis de manière définitive, en son Fils Jésus de Nazareth, le Christ annoncé par les prophètes. C'est cette révélation que nous présentent les Saintes Écritures. » Assise à la première rangée, Abigail regardait son père sans bronchée, elle allait à l’Église au minimum une fois par jour et assistait à toutes les fois où son père présidait les messes. Elle l’avait toujours vu comme un héros et elle ne manquait jamais d’aller à la messe. Depuis toute petite, avant même qu’elle soit capable de marcher, elle était assise sur ce banc avec sa mère et elle écoutait attentivement chaque parole que son père prononçait. Abigail y allait parfois même plus d’une fois par journée, elle adorait tellement la sensation d’entrer dans cette Église en plein jour puisque lorsque le soleil est à la bonne hauteur, l’effet des rayons contre les vitraux est tout simplement magnifique. Les rayons du soleil faisaient ressortir tout le côté artistique d’un Église. Malheureusement pour elle, depuis quelques temps son père donnait seulement les messes du soir, alors elle ne pouvait pas admirer la beauté de l’Église comme lorsqu’elle était petite.

Avec tout ce qui se passait dans sa vie à ce moment, il était normal de ce demander si le fais de se rendre dans ce lieu sacré était Une façon pour elle d’exorciser ses démons ? Non loin de là, elle adorait simplement voir son père. Elle adorait paraître comme la petite fille parfaite et croyante du pasteur, si seulement il savait. Bien sure, Abigail croyait en Dieu, par contre, elle avait enfreint plus d’une fois les règles fixées par les saintes écritures. L’idée d’attendre jusqu’au mariage avant de commencer à s’amuser avec la gente masculine ne lui avait jamais traversé l’esprit. Elle voyait ça comme un jeu en quelque sorte, un divertissement particulièrement délicieux. Abigail vint doucement passer sa main contre son ventre sur lequel commençait à se dessiner une courbe, elle était encore petite, mais elle allait devenir de plus en plus évidente et elle savait qu’un jour elle n’aurait pas d’autre choix que de le dire à son père. Après tout, il lui fallait également le temps de le convaincre que l’avortement peu avoir ses bienfaits, cette idée la terrorisait, elle ne se sentait même pas encore prête à tout avouer à son mère alors que celle-ci est beaucoup plus compréhensive que son père

Lorsque son père cessa de parler, Abigail tourna doucement la tête afin de regarder qui assistait à la messe de ce soir, en fait c’était bien souvent les mêmes personnes. Alors que son regard était rendu vers la droite de l’Église, elle s’arrêta sur Sadie McMurphy et la dévisagea, peu de personne ne pouvait l’agacer autant qu’elle….

ABBY & SADIE
"Dans la religion, tout est vrai, excepté le sermon ; tout est bon, excepté le prêtre." Alain

La nuit était tombée sur Salem, le froid s'engouffrait dans les petites rues étroites de la ville, la brise cognait contre les fenêtres. Peu à peu, toute la vie semblait s'en aller. Les gens rentraient chez eux, les enfants claquaient définitivement la porte de leur logis après eux, les travailleurs rentraient de Portland pour savourer une soirée tranquille. Sadie n'était pas du genre à chômer, affalée sur son canapé, à manger chips et à boire de la bière - de toute façon, elle n'avait pas l'âge pour cela. Tous les soirs étaient bookés dans son agenda, et impossible de déroger à la règle : elle se rendait à la messe. Sadie ne ratait jamais l'office, c'était un devoir entre le très haut. Les petits vieux n'étaient plus étonnés de la voir débarquer. A vrai dire, au même titre que Caleb Monroe et sa famille, elle faisait partie du décor. L'église sans Sadie McMurphy aurait probablement été incomplète. Pourquoi venait-elle si souvent ? Elle avait besoin de communiquer avec le ciel. Certains la trouvaient complètement timbrée, et ils n'avaient pas tort au fond. Au lieu de s'amuser comme les jeunes de son âge, elle se consacrait au seigneur. Les gens se contentaient de la classer dans la catégorie des outsiders, des gens à part, et n'y prêtaient pas plus attention. Par contre, la plupart ne s'étaient jamais demandés pourquoi elle allait si souvent à la messe, pourquoi elle participait à toutes les activités caritatives de Salem. Sadie avait quelque chose à se reprocher. Un lourd secret l'accablait, jour après jour, et le pire, c'était que toute sa famille était au courant. C'était à cause de cela que les McMurphy avaient dû déménager d'Ecosse, si elles ne voulaient pas avoir d'ennui. Mais comme toujours, à Salem, de grands sourires hypocrites, une version des faits un peu foireuses, des muffins offerts dans un joli panier, avaient suffit à faire croire en la parfaite innocence et gentillesse de la famille. Ce que les gens peuvent être idiots, parfois.

Ce soir, Sadie était, as usual, à la messe. Assise sur un banc, dans le fond de l'église, elle méditait. Les paupières closes, elle adressait ses prières à son dieu, son unique dieu. Pardonne moi mes pêchés, lui criait-elle intérieurement. Seigneur, oublie ce qui est arrivé. Je t'en supplie. Repartons à zéro. Ce n'était qu'un accident. J'ai eu peur. J'ai fuit. Cesse de me tourmenter. Je t'en prie. Voilà l'éternel discours qui circulait dans son esprit. Il fallait qu'elle apprenne à vivre avec sa culpabilité. Et puis, à force de confessions, de prières, sa faute serait bientôt presque pardonnée. Elle ouvrit les yeux, le regard suppliant, attendant, comme quasiment toujours, une intervention du très haut. Il n'y en eu pas. C'était toujours la même chose. Ce sentiment d'être incomprise, de devoir pour toujours vivre avec sa peine et cette horreur qu'elle avait commise. Comment avancer avec un sentiment pareil ? Alors que Sadie était en plein questionnement sur sa vie, son passé, elle croisa le regard d'Abigail Monroe, cette petite peste en cloque qui lui courait sur le système. Enfin, sa bonne éducation, sa bienséance faisaient que leurs échanges n'étaient jamais trop vifs. L'hypocrisie était de mise. Comment une dépravée pareille osait fouler le sol d'une église ? Sadie leva les yeux au ciel (dans tous les sens du terme), en poussant un petit soupir. Elle avait beau être dans un lieu sacré, elle n'allait pas faire de cadeau à Abby.

Elle quitta son banc, et par pure sadisme alla rejoindre Abigail. Elle comptait bien lui faire payer ce qu'elle avait fait. Elle ne révélerait rien à Caleb, de peur de le froisser. Par contre, elle comptait bien la remettre dans le droit chemin. Ce qui était absolument incongru, idiot, et tout ce que vous voulez, étant donné que Sadie n'était pas non plus blanche comme neige. Mais sa rédemption consistait aussi à aider son prochain. Elle détestait cela, au fond, elle n'aimait pas l'humanité dans sa globalité. Mais, puisqu'il faut "s'aimer les uns les autres", autant essayer. Sadie ne renoncerait pas pour autant à son cynisme habituel. Elle approcha à pas de loups d'Abigail, et s'assit à ses côtés, au grand étonnement de la jeune fille. Tout le monde s'était retourné vers Sadie, qui portait, certes, une tenue très voyante. Une robe violette éclatante, longue, un peu hippie. Voilà qui faisait encore plus passer la demoiselle pour une folle. Elle sourit à Abigail, avec la plus grande hypocrisie possible. Voyant que le père Monroe croisait leurs regards, Sadie baissa les yeux. Oh non, il ne fallait pas que le pasteur découvre la vérité. La rouquine ne laissa rien paraître, et se pencha à l'oreille de son "amie" pour lui dire :

« Abby, tu m'as manqué ! Alors, comment va le petit ? »

Elle pointa du doigt son ventre, ce qui était tout sauf discret. Par chance pour Abby, Caleb était plongé dans son sermon. La guerre était officiellement déclarée. Que les hostilités commencent !